FABRE, ÉDOUARD-RAYMOND (baptisé Raymond),
libraire, patriote et homme politique, né le 15 septembre 1799 à
Montréal, fils de Pierre Fabre et de Marie-Anne Lamontagne ; décédé le
16 juillet 1854 au même endroit.
Édouard-Raymond Fabre vient d’une
famille d’origine modeste. Maître forgeron de Montpellier, en France,
son ancêtre Raymond Fabre immigre en Nouvelle-France en 1745. On sait
peu de chose des parents d’Édouard-Raymond Fabre. Son père est menuisier
à Montréal vers la fin du xviiie
siècle. En 1794, il contracte mariage dans cette ville, et de cette
union naissent huit enfants dont seuls les quatre aînés, Josephte,
Julie, Sophie et Édouard-Raymond, atteindront l’âge adulte.
Mis à part quelques rappels
sentimentaux qui laissent entrevoir qu’il a eu une enfance heureuse,
Fabre est totalement silencieux dans ses écrits sur les 20 premières
années de sa vie. On sait cependant que son itinéraire personnel le
détachera tôt de sa famille même s’il garde toute sa vie une fidélité
concrète aux siens. Sans être aisée, la famille Fabre ne fait quand même
pas partie du sous-prolétariat qui pullule à Montréal tout au long de
la première moitié du xixe siècle. Aussi Pierre Fabre peut-il
envoyer son fils au petit séminaire de Montréal ; celui-ci y fait des
études de 1807 à 1812. L’année suivante, à l’âge de 14 ans, le jeune
Édouard-Raymond entre en qualité de commis dans la quincaillerie
d’Arthur Webster, l’une des plus grosses maisons d’affaires de Montréal,
où il travaille pendant neuf ans. Dans cette maison, il se familiarise
avec les diverses pratiques du commerce : comptabilité, crédit,
financement, profit.
L’intérêt de Fabre pour le commerce se
diversifie grâce aux contacts qu’il entretient avec Hector Bossange,
fils de Martin Bossange, célèbre libraire parisien. Après un bref séjour
à Québec, Hector Bossange va s’établir à Montréal et y ouvre en 1815 la
librairie Bossange, « succursale » des galeries Bossange de Paris,
considérées à l’époque comme l’une des plus importantes maisons
d’affaires dans le domaine de la librairie. Peu après son arrivée à
Montréal, Bossange se met à fréquenter la famille Fabre et épouse, en
1816, Julie, amie et confidente de son frère Édouard-Raymond.
En 1822, Fabre quitte Montréal pour
Paris où il fera pendant un an l’apprentissage du métier de libraire aux
galeries Bossange. Ce départ pour la France témoigne d’un goût de la
nouveauté, du risque et d’un souci calculé d’indépendance. Dans la
« première ville du monde », qu’il reverra en 1843, Fabre se familiarise
avec la complexité des activités financières, commerciales et
culturelles du métier qu’il exercera dès son retour à Montréal. Il sera
le premier véritable libraire du Bas-Canada.
Revenu à Montréal en 1823, Fabre achète
de Théophile Dufort le fonds de commerce de l’ancienne librairie
Bossange, dont ce dernier s’est porté acquéreur en 1819. Fabre ne tarde
pas à enrichir ce modeste fonds grâce à ses bons contacts français. De
1823 à 1828, cette librairie sera connue sous le nom de Librairie
française ou librairie Édouard-Raymond-Fabre. C’est à cette époque, le
2 mai 1826, que Fabre épouse à Montréal Luce Perrault, fille de Julien
Perrault. Il s’allie ainsi à une famille « des plus anciennes et des
plus estimables de ce pays », selon l’expression de Laurent-Olivier David.
À la suite de difficultés posées par le choix de la marchandise à
offrir à la clientèle canadienne-française, Fabre met un terme aux
relations privilégiées qu’il entretient avec la maison Bossange et
s’associe, en 1828, son beau-frère Louis Perrault,
imprimeur. Les deux hommes feront commerce en société sous le nom de
librairie Fabre et Perrault jusqu’en 1835. Afin d’améliorer ses
services, Fabre délègue Perrault en Europe à quelques reprises pour
sélectionner la marchandise destinée à la maison montréalaise. Le projet
initial prévoyait toutefois que Perrault « se fixerait à Paris », Fabre
désirant se doter dans cette ville d’un agent permanent afin
d’exploiter son commerce avec plus d’efficacité et d’éviter les
intermédiaires dispendieux. En 1835, Fabre et Perrault rompent leur
association, et la librairie reprend le nom de Librairie française ou
librairie Édouard-Raymond-Fabre. Celui-ci annonce alors qu’il continuera
de faire en son seul nom le commerce de la librairie. Cette année-là,
il engage à titre de commis son neveu, Jean-Adolphe Gravel, fils de sa
sœur Sophie. La librairie de Fabre occupe le premier étage d’une grande
maison de pierre, située au coin des rues Saint-Vincent et Notre-Dame.
Jusqu’en 1844, Fabre est locataire dans cette maison, propriété de la
famille Perrault. Il l’achète alors et y aménage « un magasin superbe à
la française de 20 pieds sur 60 ». La même année, il s’associe son neveu
Gravel qui n’a que 24 ans. Les mises respectives de l’oncle et du neveu
sont décrites comme suit : Fabre investit dans la société £3 755 12
shillings ; la mise de Gravel consiste en son temps, son industrie et
ses talents. Au début, les associés partagent inégalement, puis après un
certain temps ils répartiront également les profits et les dettes.
Fabre fera le commerce de librairie en société avec Gravel jusqu’à sa
mort en 1854. En affaires pendant 31 ans, Fabre fait donc l’expérience
de trois associations liées entre elles par un élément commun : les
trois associés de Fabre sont tous, à des degrés divers, ses parents.
La clientèle de la maison de Fabre est
constituée de membres du clergé, de membres des professions libérales,
d’enseignants, d’étudiants et de commerçants. Les catalogues de 1830, de
1835 et de 1837 montrent la prédominance et la progression du livre
religieux. Cette évolution est significative. La promotion de la
connaissance religieuse, les innovations dans les styles de dévotion et
de piété s’appuient au Bas-Canada sur des instruments nombreux dont
l’influence a sans doute été décisive dans l’expansion et le maintien de
ces renouveaux.
Les inventaires témoignent aussi du net
déclin des œuvres littéraires et philosophiques par rapport aux volumes
religieux et scolaires. Tandis que les catalogues de 1830, de 1835 et
de 1837 contiennent, en plus des grandes œuvres des auteurs religieux
tels que saint Augustin, Bourdaloue, l’abbé François, François de Sales,
Fénelon, Bossuet, les principales œuvres philosophiques et littéraires
du temps, l’inventaire de 1854–1855 ne présente plus cette
exceptionnelle qualité.
La progression quantitative des
ouvrages de pédagogie, liée à l’essor de l’instruction primaire,
constitue l’un des éléments majeurs dans l’évolution de la maison
d’affaires. Cette progression s’effectue au détriment de la
jurisprudence, de l’histoire et de la politique, et, fait surprenant, de
la technique et des métiers. Les premiers catalogues révèlent toute une
littérature de l’apprentissage (celui de 1837 propose des manuels
théoriques et pratiques pour 38 métiers différents) qui, semble-t-il,
rejoint une clientèle assez importante, mais qui disparaît presque
complètement des tablettes de la librairie Fabre et Gravel, selon les
données de l’inventaire de 1854–1855.
Il est difficile d’établir absolument
l’évolution de la marchandise offerte par la librairie de Fabre. Selon
la publicité de la Minerve, avant son voyage à
Paris en 1843, Fabre offre à sa clientèle, en plus d’un assortiment
considérable de volumes, diverses autres marchandises telles que papier à
dessin, papier à écrire et à imprimer, enveloppes, livres de comptes,
cahiers de registres, cartes de visite, plumes et crayons à dessin, et
autres. De plus, la maison vend des livres du culte, des images et des
gravures pieuses, des lithographies, des cartes géographiques, des
fournitures d’école et des livres d’étrennes. La librairie Fabre
constitue à Montréal le dépositaire des documents officiels tels que les
statuts, ordonnances et lois des Parlements provincial et impérial
touchant le Bas-Canada. À partir de 1830, la maison Fabre et Perrault
offre divers objets du culte : calices, ciboires, ostensoirs, bénitiers,
canons d’autels, chandeliers pascals, chemins de la croix en toile
douce, bassins pour les fonts baptismaux. Le voyage de Fabre à Paris en
1843 a pour effet de modifier considérablement la marchandise offerte
par sa maison. Afin de mesurer l’ampleur des transactions qu’il a
effectuées en France, il suffit de rappeler le contenu de l’annonce que
le libraire fait paraître dans la Minerve à son
retour au pays. On peut y lire que Fabre attend « environ 80 caisses et
balots » contenant en partie la marchandise traditionnelle de sa
librairie, mais aussi toute une catégorie nouvelle de marchandises :
parfumerie, gants, souliers, parapluies, bretelles, cravates, champagne,
absinthe, fromage de gruyère et autres.
Entre 1828 et 1835, la maison Fabre et
Perrault possède une imprimerie, dont l’activité est importante. Elle
fait paraître au moins cinq titres annuellement. Les méthodes de
financement de l’édition au Bas-Canada sont alors multiples : soit
l’abonnement ou la souscription, soit l’association d’un libraire à un
imprimeur en retour des droits exclusifs de vente pour le libraire, soit
des ententes entre libraires. À titre d’exemple, la maison de Fabre et
celle de John Neilson
de Québec concluent des ententes concernant des échanges d’ouvrages
publiés par l’une ou l’autre des deux maisons. On a retrouvé 49
publications auxquelles l’entreprise de Fabre a été associée entre
1827 et 1854.
L’ensemble des opérations commerciales
de la maison, édition, reliure, importation de livres et de marchandises
diverses, assure le succès financier de Fabre. Derrière cette réussite,
on note l’aptitude de celui-ci à adapter la marchandise offerte aux
grands secteurs de la demande et à établir des relations stables et
diversifiées avec des éditeurs et des libraires de France. Fabre se
révèle un homme d’affaires capable de s’accorder aux conditions
nouvelles des pouvoirs et des ressources. Il sait tirer parti des forces
montantes : le conservatisme et le cléricalisme.
Si Fabre déploie une très grande
énergie pour assurer le succès de son commerce, il ne se passionne pas
moins pour les grands débats politiques de son temps. Dès 1827, il se
joint aux milieux patriotes de Montréal que fréquente son beau-frère et
ami, Charles-Ovide Perrault, alors clerc chez Denis-Benjamin Viger, cousin de Louis-Joseph Papineau. Selon le témoignage de son biographe Joseph Doutre, lors des élections générales de cette année-là puis de la mission de Viger, de Neilson et d’Augustin Cuvillier
en Angleterre en 1828, Fabre commence à s’initier aux mouvements
politiques. Il ne tarde pas à exercer une grande influence sur les
démarches des hommes publics, et son bureau d’affaires devient dès lors
le rendez-vous quotidien des chefs du parti patriote. C’est dans ce
contexte que Fabre consolide son commerce et prend peu à peu une part
active aux affaires publiques bas-canadiennes jusqu’à la rébellion de
1837.
De 1832 à 1837, Fabre exerce des
fonctions et une influence de première importance au sein des organismes
que se donne le parti patriote. Ainsi, en 1832, Fabre figure parmi les
membres fondateurs de la Maison canadienne de commerce. Secrétaire de la
première réunion du groupe, tenue à l’hôtel Nelson, Fabre est entouré
de ses amis Côme-Séraphin Cherrier, Pierre-Dominique Larocque, Dominique Mondelet et Pierre-Dominique Debartzch.
La Maison canadienne de commerce a pour but de regrouper les milieux
d’affaires canadiens-français, d’assurer leur pénétration « dans le haut
commerce e> et de créer des entrepôts d’importations où les
marchands détaillants pourraient venir s’approvisionner sans devoir
passer par les grandes maisons britanniques. Il s’agit d’une volonté
clairement exprimée par une élite en grande partie montréalaise et
réformiste de canaliser et de maîtriser l’épargne populaire en vue de
s’en servir comme d’une arme puissante dans la lutte qui l’oppose au
gouvernement de la colonie. En 1834, Fabre signe l’acte d’association
pour la création de la Banque du peuple avec, entre autres,
Louis-Michel Viger, Jacob De Witt et
Joseph Roy. Nommé trésorier de la banque, il reçoit dans sa maison de
commerce les souscriptions pour ce nouvel établissement. En 1835, la
Banque du peuple ouvre ses portes.
Cette année-là, Fabre participe à Montréal avec Denis-Benjamin Viger, De Witt, Roy, Augustin-Norbert Morin, Edmund Bailey O’Callaghan,
Léon Asselin et André Ouimet à la fondation de l’Union patriotique. Les
buts de cette association peuvent être résumés comme suit : propagation
de la connaissance, obtention du gouvernement responsable, amélioration
des moyens de communication dans la colonie, administration prompte et
peu coûteuse de la justice, opposition, par tous les moyens possibles, à
l’intervention indue du ministère des Colonies, de la Trésorerie ou du
ministère de la Guerre. Sous ces principes, on retrouve mot à mot les
réclamations du parti patriote telles qu’exprimées sommairement dans une
lettre adressée en 1834 par les chefs patriotes de la région de
Montréal à ceux de la région de Québec. Fabre se voit chargé à titre de
trésorier d’administrer les fonds de l’Union patriotique. En plus des
responsabilités qu’il cumule à la Maison canadienne de commerce, à la
Banque du peuple et à l’Union patriotique, Fabre fait partie en 1835 du
groupe des propriétaires du bateau à vapeur le Patriote.
En avril de la même année, il est élu secrétaire-trésorier du comité
général de direction et du comité exécutif de ce groupe. De plus, Fabre
est associé étroitement à la nouvelle association Saint-Jean-Baptiste
dont il est l’un des organisateurs les plus actifs à Montréal.
D’autre part, Fabre rend des services
pécuniaires considérables aux organes d’information et de propagande du
parti patriote. Il assure le maintien de la Minerve, journal de Ludger Duvernay. En
1832, Duvernay est arrêté et emprisonné pour diffamation. Fabre
intervient immédiatement et promet au directeur arrêté « de réparer
[ses] affaires ». En 1836, Duvernay est de nouveau emprisonné pour
diffamation. Aussitôt, Fabre lance et préside une grande souscription
publique « pour indemniser M. Duvernay de son incarcération ». En 1832,
Fabre a aussi acquis le Vindicator and Canadian Advertiser, journal d’expression anglaise et d’obédience patriote qui sera dirigé par son ami O’Callaghan.
Avant la rébellion, Fabre, qui s’est
lié d’amitié avec Papineau et lui voue une admiration sans bornes, agit
comme conseiller de ce dernier. Il accompagne Papineau aux principales
assemblées qui précèdent les troubles. Le 15 mai 1837, il participe
notamment à l’assemblée de Saint-Laurent où il est élu délégué à la
Convention générale, sorte d’états généraux des patriotes, et est aussi
élu membre d’un comité permanent chargé de veiller aux intérêts
politiques de la circonscription de Montréal. Le 28 juin, il préside la
grande assemblée anti-coercitive de Montréal où Papineau lance en
quelque sorte le mouvement insurrectionnel. Fabre ouvre la séance de
l’assemblée en invoquant les droits du peuple et les dangers de tyrannie
qui menacent le pays.
Quelques heures avant que la rébellion
n’éclate, le 23 novembre 1837, Fabre se présente à Saint-Denis, sur le
Richelieu, pour convaincre Papineau et O’Callaghan de fuir aux
États-Unis. Fabre lui-même ne sort pas du Bas-Canada, mais il doit vivre
à l’extérieur de Montréal pendant sept mois. Il se tient caché tantôt à
Contrecœur, tantôt à Lavaltrie, ou dans des villages voisins. En plus
d’être séparé des siens, Fabre est affecté par l’état de santé de sa
femme qui a fait une fausse couche ainsi que par la mort de son
beau-frère, Charles-Ovide Perrault, à la bataille de Saint-Denis. Il est
finalement arrêté et incarcéré à la prison de Montréal le
12 décembre 1838. Compte tenu de l’activité qu’il a exercée avant
novembre 1837, il est étonnant qu’il n’ait pas été arrêté auparavant. Il
faut donc attribuer son emprisonnement à la tentative d’invasion du
Bas-Canada dirigée par Robert Nelson et Cyrille-Hector-Octave Côté. Selon Doutre, les autorités doivent le relâcher un mois plus tard, faute de preuves.
Au lendemain de la rébellion, Fabre ne
reste pas indifférent au malheur des exilés canadiens. Il joue d’abord
un rôle d’intermédiaire entre le Bas-Canada et certains réfugiés, en
particulier Papineau et Duvernay. Pendant l’exil de Papineau, Fabre
conserve au leader des patriotes son amitié. En 1843, il se rend à
Paris, pour des raisons d’affaires mais aussi pour revoir « son très
cher ami ». Il se prend à rêver du retour de Papineau en qui il voit
l’unique sauveur du pays. Quant à Duvernay, qui a déjà bénéficié des
secours de Fabre au moment de son incarcération, il peut, dans son exil,
compter sur la disponibilité et la présence de ce dernier. Au retour de
Duvernay, Viger et Fabre aident à la réorganisation de la Minerve.
Cependant, l’action de Fabre en faveur
des exilés déborde largement le cercle étroit de ses relations
montréalaises. Le 19 décembre 1843, la Minerve
publie une adresse au peuple dans laquelle il est question de la
fondation de l’Association de la délivrance. Fabre est nommé trésorier
de cette association et joue à ce titre un rôle éminent dans la solution
du problème du retour des exilés. Inlassablement, il multiplie les
démarches pour obtenu- le rapatriement des réfugiés. Enfin, en 1846, les
derniers exilés sont de retour « dans la patrie », et Fabre se félicite
du travail accompli.
Dès le retour de l’ancien chef du parti
patriote en 1845, Fabre souhaite ardemment que Papineau reprenne sa
place dans l’arène politique. Il est persuadé envers et contre tous que
la présence de celui-ci en chambre suffira pour rétablir son leadership.
Lors des élections de 1847–1848, qui consacrent la défaite accablante
du ministère de Denis-Benjamin Viger et la remontée spectaculaire de
Louis-Hippolyte La Fontaine,
Papineau est élu député. En avril 1848, celui-ci fait sa rentrée
politique à l’Assemblée législative de la province du Canada. Mais les
espérances sont rapidement dégonflées. Papineau n’a pas « fait fureur »
en chambre et il n’a pas reconquis son influence passée.
De plus en plus isolé, le petit groupe
qui gravite autour de Papineau, dont Fabre fait partie, s’inquiète
depuis la défaite de Viger de ses mauvaises relations avec la presse du
temps. D’une part, la Minerve de Duvernay n’approuve pas le radicalisme de l’ancien chef patriote et, d’autre part, l’Avenir,
organe des « rouges » de l’Institut canadien, après avoir appuyé les
vues de Papineau, notamment sur l’annexion aux États-Unis, se
radicalise : il entre en conflit avec les Mélanges religieux,
organe officieux de l’évêché de Montréal, sur le terrain délicat des
rapports entre les pouvoirs religieux et politique. Fabre, qui a
jusque-là soutenu l’Avenir, s’en désolidarise et lance en janvier 1852 avec Jacques-Alexis Plinguet le Pays.
Cette intervention modératrice de Fabre dans la presse libérale répond
sans doute à la nécessité de tenir compte d’une clientèle et d’une
institution, l’Église, dont la force montante s’accompagne de retombées
économiques imposantes pour la librairie de Fabre.
L’activité publique de Fabre l’amène à
poursuivre une carrière en politique municipale à cette époque. En 1848,
il cède aux sollicitations pressantes des électeurs et brigue les
suffrages. Élu aisément conseiller du quartier Est, il est désigné comme
échevin et président du comité des finances du conseil. En 1849, il est
élu maire de Montréal. Il semble que la réussite de Fabre à la
présidence du comité des finances explique son élection, qu’il n’a
aucunement recherchée. Durant son premier mandat, Fabre, dans des
circonstances économiques extrêmement difficiles, poursuit avec
constance un travail d’assainissement des finances de la ville. Il fait
aussi adopter par le conseil municipal des mesures pour réprimer les
émeutes qui ont mené à l’incendie du Parlement par suite de l’adoption
de la loi pour l’indemnisation des pertes subies pendant la rébellion.
Il s’emploie à multiplier les mesures de protection et de prévention
contre l’épidémie de choléra qui sévit dans la ville cette année-là. En
1850, réélu sans opposition, il se retrouve contre sa volonté maire de
Montréal pour un second mandat. Le 28 février 1851, il s’adresse dans
son discours d’adieu aux conseillers et échevins pour les remercier de
leur collaboration et profite de l’occasion pour résumer les
réalisations des deux dernières années de son administration. D’une
lecture attentive de ce discours se dégage l’impression qu’il a exercé
sur les 11 départements et sur les fonctionnaires qui en assurent la
marche une influence que jamais aucun maire de Montréal n’a exercée. En
1850, Fabre a par ailleurs été élu président de l’Association
Saint-Jean-Baptiste de Montréal, charge qu’il occupe pendant un an, à un
moment où son activité commerciale et politique, jointe aux difficultés
économiques, ne lui permet pas d’accorder une grande attention à la
société dite nationale.
Malgré son activité commerciale qui
l’accapare et sa participation assidue aux affaires publiques, Fabre
connaît une vie familiale intense. Sa femme tient la maison avec
autorité, mais consulte constamment son mari qui veille à tout et en
particulier à l’éducation des enfants. Du mariage de Fabre et de Luce
Perrault sont nés 11 enfants parmi lesquels Édouard-Charles, qui deviendra le premier archevêque de Montréal, Hector, qui sera le premier délégué du Canada à Paris, et Hortense, qui épousera George-Étienne Cartier, et que Fabre qualifie de l’« un des premiers partis de Montréal ».
En 1854, Édouard-Raymond Fabre pose de nouveau sa candidature à la mairie de Montréal et fait la lutte à Wolfred Nelson.
La campagne électorale est extrêmement violente. Fabre échoue dans sa
tentative de se faire élire. Le 11 juillet de la même année, épuisé, il
est atteint par le choléra et meurt cinq jours plus tard. Apprenant sa
mort, Papineau rendra à Fabre l’amitié et l’admiration que le libraire
montréalais lui a témoignées au cours de sa vie. Dans une lettre écrite
quelques jours après la mort de Fabre, il exprimera ses sentiments
profonds envers ce « constant et chaleureux ami, compagnon d’armes dans
les luttes constitutionnelles, frère de cœur [... à la] foi patriotique
inébranlable, [à] la générosité et libéralité abondante [... qui a]
rendu au pays des services insignes ».
Texte: Jean-Louis Roy
ACAM, 576, F ; 902.002 ; RCD XXIX.— ANQ-M,
CE1-51, 15 sept. 1799, 2 mai 1826, 17 juill. 1854 ; CN1-135 ; CN1-295,
8 mai 1826 ; CN1-311, 25 oct. 1854–31 mars 1855 ; CN1-312,
17 mars 1842.— ANQ-Q, P-9 ; P-68 ; P–69 ; P1000-37-694 ; P1000-76-1540.—
APC, MG 24, B1, 1 ; B6, 1–5 ; B37, 1–2 ; B46, 1 ; B50 ; C3 ; RG 4, B37,
1–5.— Arch. de la ville de Montréal, Doc. administratifs, Commissions,
1843–1854 ; Divers, 1843–1854 ; Procès-verbaux du conseil municipal,
1843–1854 ; Règlements, 1843–1854.— McGill Univ. Libraries, Dept. of
Rare Books and Special Coll. (Montréal), ms coll., « Livre de notes
d’É.-R. Fabre » (Paris, 4 mai 1843–Montréal, 7 juill 1843) ; lettre
d’É.-R. Fabre.— L’Avenir, juill.–1847–déc. 1854.— Mélanges religieux, 1848–1852.— La Minerve, 1826–1837, 1842–1854.— Montréal Gazette, 1849–1854.— Le Pays, janv. 1852-déc. 1854.— Vindicator and Canadian Advertiser (Montréal), 1832–1835.— Montréal directory, 1842–1854.— Hector Berthelot, Montréal, le bon vieux temps, É.-Z. Massicotte, compil. (2 vol. en 1, 2e éd., Montréal, 1924), 2 : 24–26.— J. D. Borthwick, History of the Montréal prison from A.D. 1748 to A.D. 1886 [...] (Montréal, 1886), 67.— David, Patriotes, 73–75.— Joseph Doutre, « Notice biographique sur feu Édouard R. Fabre, écr. [...] », Institut canadien en 1855, J.-L. Lafontaine, édit. (Montréal, 1855), 117–149.— Antonio Drolet, les Bibliothèques canadiennes, 1604–1960 (Ottawa, 1965), 77.— Hist. de Montréal (Lamothe et al.).— Maurault, le Collège de Montréal (Dansereau ; 1967).— J.-L. Roy, Édouard-Raymond Fabre.— Marcel Trudel, l’Influence de Voltaire au Canada (2 vol., Montréal, 1945), 1 : 128.— Cabrette [É.-Z. Massicotte], « les Disparus », BRH, 30 (1924) : 232.— Alfred Duclos De Celles, « la Maison canadienne », BRH, 11 (1905) : 220.— Édouard Fabre Surveyer, « Charles-Ovidé Perrault (1809–1837) », SRC Mémoires,
3° sér., 31 (1937), sect. i : 151–164 ; « Édouard-Raymond Fabre d’après
sa correspondance et ses contemporains », 38 (1944), sect. i : 89–112.— É.-Z. Massicotte, « Cinquante ans de librairie à Montréal », BRH, 49 (1943) : 103–107 ; « Nos anciens présidents : Édouard-Raymond Fabre, président en 1850 », la Rev. nationale (Montréal), 7 (1925) : 283.— Léon Trépanier, « Figures de maires : Édouard-Raymond Fabre », Cahiers des Dix, 24 (1959) : 189–208.